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Témoignage de Alain Buu sur le métier de photo-journaliste en 2013.

Alain Buu était présent place Tahrir en Egypte durant le printemps arabe  en Févier 2011 © Sebastien LAPEYRERE

Alain Buu était présent place Tahrir en Egypte durant le printemps arabe en Févier 2011 © Sebastien LAPEYRERE

Par Jean-Pierre Perrin Libération

Loin des conflits qui ont fait sa gloire, une profession lutte contre sa disparition au sein d’une presse qui brade ses images. Illustration avec le parcours d’Alain Buu. 

En Irak, alors qu’il est coincé dans le Kurdistan en 1991, sa chance a été d’avoir été boat people, recueilli gamin sur une barque vietnamienne perdue en mer de Chine et ramené en France. Quand, après être resté dix-huit heures caché dans un trou, il est découvert par des soldats de Saddam Hussein qui menacent de le tuer, le jeune photographe a l’idée de se revendiquer de la terre ancestrale : «Je savais que les Vietnamiens étaient respectés par les Arabes. Ils étaient à cette époque les seuls à avoir battu les Américains au cours d’une guerre.» Il s’écrie : «Vietnamien, je suis vietnamien.» Sauvé !

Après des jours difficiles à la terrible prison d’Abou Ghraib, Alain Buu et son copain, un journaliste américain, seront libérés. Mais un troisième pote, Gad Gross, photographe de 27 ans d’origine roumaine, a, lui, été exécuté au moment de sa capture. «Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est l’histoire de quelqu’un d’autre, confie-t-il dans un récit écrit avec cette modestie qui le caractérise. Les gens me perçoivent comme un miraculé et un héros, certains envient mon expérience. Mais, intérieurement, je suis triste, j’aurais bien voulu ne jamais vivre cette aventure.»

A présent, ces jours de peur et de fureur sont loin. Car, ce que ni les bombardements ni les frontières n’avaient réussi à faire, l’empêcher de partir, d’aller suivre les guerres, la crise que traverse le photojournalisme y est parvenue. Désormais, cet ancien de Gamma, qu’il a quittée en 2004 parce que l’agence ne lui donnait plus de sujets à l’étranger, regarde à distance le monde se déchirer. Environ 80% de ses activités sont désormais des «corporates» (des commandes d’entreprises). «Des centaines de photographes sont dans mon cas», précise-t-il.

Et ce n’est qu’une fois sa bourse remplie qu’il peut envisager un départ. «Il y a trois ans, je suis allé suivre la guerre au Tchad. Cela m’a coûté 5 000 à 6 000 euros, dépensés en pure perte car je n’ai pas vendu de photos.» En 2011, pour la révolution égyptienne, il fait vite ses comptes : «Un billet d’avion, 550 euros. Pas besoin de taxi ni de « fixeur » : tout se passe place Tahrir et on peut même dormir sur place.» Il prend le risque d’y aller, même si des dizaines de photographes sont déjà à pied d’œuvre. Au final, il dépense 1 500 euros mais, grâce à des ventes à Paris Match et Stern, il double sa mise. «J’ai gagné de l’argent, mais cela reste exceptionnel.» Suite sur liberation..

Le prix à payer pour être un photojournaliste

Révolution Egyptienne - Février 2011 © Sebastien LAPEYRERE / Olynea Photos

Financé son reportage devient de plus en plus difficile pour les photojournalistes confrontés à la baisse des prix et des commandes auprès de la presse . Et partir en reportage ,avec le  risque de ne pouvoir rentrer dans ces frais.

Un excellent article sur le métier de photojournaliste et sur le financement des reportages .

Jonathan Alpeyrie est un photojournaliste, en cette fin d’année, il ne nous parle de ses images, mais de son bilan financier: étonnant et plein de leçons et d’enseignements.

La plupart des membres de la profession se plaignent de l’état de la presse aujourd’hui dans un monde qui change en permanence. Je ne déroge pas à ce constat. La presse connaît une transformation sans précédent, comme les médias sociaux, et les nouvelles technologies transforment radicalement le cadre auquel s’étaient habitués les journalistes et photographes.

Ce n’est pas le fait d’être publié qui pose problème. Gagner suffisamment d’argent pour vivre, payer ses frais au quotidien, et financer les projets à venir, c’est cela, le vrai problème. Les journaux et magazines qui peuvent se permettre d’envoyer des journalistes au loin pour couvrir des événements majeurs sont de moins en moins nombreux, et les journalistes en question doivent trouver de nouveaux moyens de faire de l’argent. Les agences photo, par exemple, ces dernières années, ont fait appel de plus en plus souvent à des photographes locaux, parce que cela leur coûte bien moins cher que de payer leurs propres équipes et de les envoyer dans des pays lointains.

De façon plus déterminante encore, la côte des photographies s’est effondrée ces vingt dernières années avec l’arrivée en force d’internet, qui met naturellement l’accent sur la quantité plutôt que sur la qualité. Polaris Images, l’agence qui me représente  internationalement, me fait publier tous les jours dans le monde entier, ce qui est très appréciable, bien sûr, mais quand je reçois mon solde, la somme accumulée est plutôt dérisoire, au regard du nombre de photos vendues et de la quantité de risques que j’ai dû prendre au cours de certains de ces voyages. Par exemple, la Chine est un marché important pour moi, avec peut-être 10% de mes ventes totales par mois. Les Chinois ont dévalué le prix des photographies autant qu’ils ont pu, achetant un cliché en moyenne 30 dollars pièce : c’est un prix très bas, qui ne prend absolument pas en compte la qualité de la photo ou les risques pris pour la réaliser.

Mais finalement, le point peut-être le plus essentiel tient au comportement de la presse envers elle-même, et à son incapacité à se réinterroger : à mon avis, c’est le danger le plus important auquel elle est confronté. Depuis quelques décennies maintenant, le monde de la presse a dû faire face à des revenus et des abonnements en baisse constante pour ses journaux, ses magazines… Il est certain, cependant, que l’avènement d’internet a beaucoup à voir avec cet état de fait, les gens préfèrent chercher leurs informations sur une grande variété de sites offrant du contenu gratuit, plutôt que de payer pour des titres papier. Une situation contre laquelle il est difficile de lutter, il est vrai. La presse a rapidement trouvé une solution simple pour augmenter ses revenus : créer et vendre du contenu que les gens ont envie de lire ou de voir. Le résultat de cette stratégie s’est rapidement fait sentir : la qualité des titres de presse a rapidement décliné, jusqu’au point où certains magazines, qui étaient auparavant reconnus pour leur qualité, sont devenus des mélanges difformes d’informations et de ragots sur les célébrités. Life magazine et Paris Match sont les exemples parfaits de cet état de fait.

Cela fait maintenant dix ans que j’exerce le métier de photojournaliste, et ma pratique colle en tout point à la réalité exposée dans les paragraphes précédents. Comme il est facile de critiquer la nature même de ce qu’est devenue la presse occidentale, je vais prendre des exemples concrets issus de mon expérience, qui correspond cependant à la situation et à l’état d’esprit de tous les professionnels qui, comme moi, luttent pour réussir à vivre de leur métier.

Pour illustrer cette nouvelle réalité, je vais donner quatre exemples de voyages que j’ai réalisé pour couvrir des événements internationaux : la guerre de la drogue au Mexique, la guerre en Libye, le scandale Dominique Strauss-Kahn, et l’indépendance du Sud Soudan. Chacun va me permettre d’illustrer une fortune différente du processus de production, et de donner une idée de l’argent dépensé pendant ces déplacements et du retour financier que j’ai pu réaliser.

La guerre de la drogue au Mexique est devenue depuis 2006 un événement international, couvert de temps à autre par la presse mondiale. À mon sens insuffisamment, alors que ce conflit s’est transformé en vraie guerre civile, avec des implications internationales majeures. En mars 2011, j’ai décidé de couvrir cette guerre muette à la frontière entre le Mexique et l’Arizona, dans le village frontalier de Nogales. Pendant trois semaines, j’ai travaillé avec les forces de police spéciale anti-drogue américaines (Metro) qui combattent les cartels de la drogue. J’ai traversé la frontière une demi-douzaine de fois vers le Mexique pour essayer de retraduire la perspective mexicaine sur ce drame. J’ai dû me rapprocher dangereusement d’un de ces cartels pour photographier la vie quotidienne sur place, et les membres de ces organisations criminelles. Je me suis senti plus inquiet et paranoïaque à ces occasions que lors de n’importe quelle guerre que j’ai pu couvrir par ailleurs. Quand mon reportage a été terminé trois semaines plus tard, j’ai dû mettre fin à mon séjour précipitamment : j’avais l’impression d’être suivi, la police US m’a confirmé que c’était le cas, alors je suis parti. Le niveau de risque consenti pour réaliser ce reportage n’a jamais été pris en compte financièrement. Toutes mes dépenses pour un séjour de trois semaines ont atteint 2500 dollars. Polaris et moi-même n’avons pas réussi à vendre cette histoire à sa vraie valeur. Je pense que j’ai à peine fait 1000 dollars en retour, perdant ainsi 1500 dollars sur ce voyage. Ce n’était pas la question bien sûr, puisque j’avais des conditions de travail particulièrement propices. Mais en termes financiers, ce voyage a été un échec.

La guerre en Libye est devenue très rapidement un événement international de première grandeur, et a été couverte par tous ceux qui voulaient s’y faire un nom. Pour moi, c’était une guerre …;

….Suite 

Jonathan Alpeyrie sur le site La lettre de la photographie